lundi 20 décembre 2010

Une famille

En principe, toute famille a une histoire mais la mienne n'a pas duré très longtemps; ma famille rassemble des gens qui ne connaissent pas bien entre eux. A quoi sert une famille ? A se séparer. La famille est le lieu de la non-parole. Mon père ne parle plus à son frère depuis vingt ans. Ma famille maternelle ne connaît plus ma famille paternelle. On voit souvent sa tribu quand on est enfant, en vacances. Puis les parents se quittent, on voit moins souvent son père, abracadabra : une moitié de la famille disparaît. On grandit, les vacances s'espacent, et la famille maternelle s'éloigne aussi, on finit par ne plus la croiser qu'aux mariages, aux baptêmes et aux enterrements - pour les divorces, personne n'envoie de faire-part. Quand quelqu'un organise le goûter d'anniversaire d'une neveu ou un dîner de Noël, on trouve des excuses pour ne pas s'y rendre: trop d'angoisse, la peur d'être percé à jour, observé, critiqué, renvoyé à soi-même, reconnu pour ce que l'on est, jugé à sa juste valeur. La famille vous rappelle les souvenirs que vous avez effacés, et vous reproche votre amnésie ingrate. La famille est une succession de corvées, une meute de personnes qui vous ont connu bien trop tôt, avant que vous ne soyez terminé - et les anciens sont surtout les mieux placés pour savoir que vous ne l'êtes toujours pas [...] Une famille, c'est un groupe de gens qui n'arrivent pas à communiquer, mais s'interrompent très bruyamment, s'exasprèrent mutuellement, comparent les diplômes de leurs enfants comme la décoration de leurs maisons, et se déchirent l'héritage de parents dont le cadavre est encore tiède. Je ne comprends pas les gens qui considèrent la famille comme un refuge alors qu'elle ravive les plus profondes paniques. Pour moi la vie commançait quand on quittait sa famille. Alors seumement l'on décidait à naître.

Frédéric Beigbeder 
Un roman français
 










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