dimanche 28 mars 2010

"C'est beau" suivi de "La surprise"











La beauté nous fascine car elle nous permet d'éprouver notre liberté de jugement  [...] Ainsi s'éclaire maintenant notre 'autoritarisme' lorsque nous disons 'C'est beau', nous ne disons en effet pas 'Cela me plait à moi' mais bien 'C'est beau' soit, implicitement, 'C'est beau pour tout le monde'. Mais ce n'est pas pour leur imposer notre vision. C'est comme si cette réconciliation, au fond de notre nature, nous soufflait de nous réconcilier aussi avec les autres. Le beauté crée en nous, en même temps que cette harmonie interne, un élan vers les autres que nous avons tous déjà éprouvé lorsque nous voulons voir autrui partager notre goût. C'est une expérience fréquente: la beauté d'un morceau de musique nous saisit mais un proche, à nos côtés, y reste insensible. Nous avons l'impression qu'il lui manque quelque chose d'essentiel. Nous ne comprenons pas que son jugement soit différent. Ce mur, qui vient de surgir entre nous, nous désole. Au fond, nous avons envie que l'autre soit d'accord, envie que la beauté nous mette d'accord. Et il n'y a rien qui s'oppose à cet accord des hommes autour de beau. Si l'appréciation de la beauté n'était qu'une question de sensibilité, ou d'intelligence, de 'bagage culturel', des frontières en effet se dresserait entre les individus (certains sont plus ou moins sensibles, d'autres plus ou moins cultivés). Mais comme elle ne dépend pas du développement particulier d'une de ces dimensions de l'homme mais simplement de l'accord, possible en chaque homme, entre notre sensibilité et notre esprit.


La beauté nous nous fascine parce qu'elle n'est pas comprise, et parce qu'elle est une surprise [...] Les surréalistes ont d'ailleurs théorisé cette surprise comme condition de la beauté : la surprise crée une rupture avec ces habitudes sociales ou intellectuelles qui nous coupent de nous-même, de notre vérité, cette vérité qui surgit justement à l'instant de cette si 'bizarre' réconciliation.

Une semaine de Philosophie - Charles Pépin