mercredi 8 juin 2011

Il tournait dans son désir, comme un prisonnier dans son cachot

Cependant, il songeait au bonheur de vivre avec elle, de la tutoyer, de lui passer la main sur les bandeaux loguement, ou de se tenir par terre, à genoux, les deux bras autour de sa taille, à boire son âme dans ses yeux ! Il aurait fallu, pour cela, subvertir la destinée; et, incapable d'action, maudissant Dieu et s'accusant d'être lâche, il tournait dans son désir, comme un prisonnier dans son cachot. Une angoisse permanente l'étouffait. Il restait pendant des heures immobile, ou bien, il éclatait en larmes; et, un jour qu'il n'avait pas eu la force de se contenir, Deslauriers lui dit: 

- "Mais, saprelotte ! qu'est-ce que tu as ?"

Frédéric souffrait des nerfs. Deslauriers n'en crut rien. Devant une pareille douleur, il avait senti se réveiller sa tendresse, et il le réconforta. Un homme comme lui se laisser abattre, quelle sotisse ! Passe encore dans la jeunesse, mais plus tard, c'est perdre son temps. 

- "Tu me gâtes mon Frédéric ! Je redemande l'ancien. Garçon, toujours du même ! Il me plaisait ! Voyons, fume une pipe, animal ! Secoue-toi un peu, tu me desoles !" 

- "C'est vrai", dit Frédéric, "je suis fou !"



Gustave Flaubert
L'éducation Sentimentale


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