Car c'est bien le paradoxe d'Epiménide - et non une vérité enfouie - qui se trouve au coeur du Meurtre de Roger Ackroyd et de sa lecture, paradoxe qui se lit sous sa forme longue : "Epiménide le Crétois dit 'Tous les Crétois sont des menteurs'" et sous sa forme abrégée : "Je mens". On sait que ce paradoxe de Crétois a suscité pendent très longtemps des interrogations logiques, tendant à le présenter comme insoluble. En effet, si je dis que je suis un menteur, mon énoncé s'annule et je dis la vérité. Mais, la disant, je suis donc un menteur et mon énoncé s'annule, etc.
Comme l'a montré Lacan, ce paradoxe n'est pas insurmontable, à condition de prendre la peine de distinguer le sujet de l'énoncé et celui de l'énonciation. "Je mens" est prononcé à la fois sur le plan de l'énoncé et sur celui de l'énonciation, et le prénom "je" condense deux sujets au point d'en faire disparaître un derrière l'autre. Le "je" qui prononce la formule diffère du "je" de "je mens". Dès lors, l'un est en mesure de dire le vrai dans le même temps où l'autre est déclaré menteur.
Pierre Bayard
Qui a tué Roger Ackroyrd?
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